23 juin 2021

Vente immobilière et responsabilité décennale du vendeur particulier


Arrêt de la Troisième Chambre civile de la Cour de cassation du 1er avril 2021 N°19-17.599



Préambule

La garantie décennale consiste en une présomption de responsabilité du constructeur au titre des désordres qui compromettent la solidité de l’ouvrage ou le rendent impropre à sa destination en l’affectant dans l’un de ses éléments constitutifs ou un de ses éléments d’équipement indissociables, pendant une durée de 10 ans à compter de la réception des travaux.

Il s’agit d’un régime de responsabilité spécial prévu aux articles 1792, 1792-2 et 2270 du Code civil.

L’article 1792 du Code civil dispose ainsi que :

« Tout constructeur d'un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage, des dommages, même résultant d'un vice du sol, qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination.

Une telle responsabilité n'a point lieu si le constructeur prouve que les dommages proviennent d'une cause étrangère. »


L’article 1792-1 2° du même Code précise qu’est réputé constructeur de l’ouvrage, « Toute personne qui vend, après achèvement, un ouvrage qu'elle a construit ou fait construire ».


En l’espèce



Il s’infère de l’exposé des faits et de la procédure qu’un couple de particuliers a acquis différents lots dans un immeuble en copropriété.

Après avoir procédé à d’importants travaux de rénovation, le couple a revendu les lots à plusieurs personnes.

Quelques années plus tard, les acquéreurs et le syndicat de copropriétaires constatent des désordres (infiltrations, risque d’incendie par les cheminées, terrasses non étanches, etc.) et assignent les vendeurs aux fins d’expertise, après avoir fait procéder à des réparations.

L’expertise réalisée fait état que les désordres sont de nature décennale et les acquéreurs et le syndicat des copropriétaires ont alors assigné les vendeurs en réparation de leurs préjudices.

Par arrêt du 19 mars 2019 la Cour d’appel de Chambéry a condamné le couple à indemniser les acquéreurs et le syndicat de copropriété, au motif que :

« selon les constatations d’un technicien mandaté par les acquéreurs, la terrasse avait été créée sans tenir compte des normes applicables en matière d’étanchéité, notamment en climat de montagne, que des bâches servaient de protection provisoire, qu’une panne avait été coupée franchement, sans reprise des charges, que les parois, triangles et fonds fermant la terrasse étaient en bois, que les relevés étaient pratiquement inexistants, qu’aucun seuil n’isolait la porte-fenêtre, que l’étanchéité, son support, la nature de l’isolation et son épaisseur n’étaient pas conformes aux normes en vigueur, expliquant les infiltrations d’eau constatées à l’intérieur de l’appartement ».

La Cour a jugé que ces désordres sont de la gravité décennale au sens de l’article 1792 du Code civil.

Un pourvoi a été formé à l’encontre de cet arrêt.

Les demandeurs au pourvoi ont présenté une succession de griefs.

Ils ont notamment fait valoir que les contrats conclus avec les différents acquéreurs sont des contrats de vente, et aucunement des contrats de louage d’ouvrage.

A ce titre, ils ont estimé que seule leur responsabilité au titre de leurs obligations de vendeurs serait susceptible d’être recherchée, à l’exclusion de toute responsabilité décennale fondée sur l’article 1792 du Code civil.

C’est le moyen qui nous intéresse.


La problématique et la portée de l’arrêt



Cet arrêt est l’illustration classique de la responsabilité, souvent méconnue, qui pèse sur le vendeur vis-à-vis de l’acquéreur, au titre des travaux qu’il a fait effectuer, et desquels il résulte des désordres de nature décennale.

Les faits de l’espèce posent la question de savoir si le vendeur particulier ayant réalisé ou fait réaliser des travaux avant revente peut être tenu responsable des désordres résultant de tels travaux, et le cas échéant sur quel fondement.

La réponse se trouve à l’article 1792-1, 2° précité.

En application de ce texte, la Cour de cassation a approuvé la Cour d’appel, dans son arrêt du 1er avril 2021, d’avoir jugé que les particuliers qui ont réalisé des travaux de grande ampleur sont réputés constructeurs[1] et sont, en telle qualité, tenus à indemnisation sur le fondement de l’article 1792 du Code civil.

Elle relève ainsi que :
  • d’une part, les vendeurs peuvent être tenus, en leur qualité de maître d’ouvrage ayant fait réaliser des travaux, de répondre, sur le fondement de la responsabilité décennale des constructeurs, des dommages compromettant la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination;

  • d’autre part, indépendamment de la mise en œuvre de ce régime spécifique de responsabilité, la responsabilité contractuelle de droit commun des vendeurs peut être recherchée  au titre des vices qui ne relèvent pas de la présomption de responsabilité de l’article 1792 du Code civil.

De la lecture de cet arrêt, il convient de tirer la conclusion qui suit :


La garantie du constructeur d’ouvrage est étendue au particulier qui réalise ou fait réaliser des travaux sur un bien immobilier ayant donné lieu à une vente.

La nature du contrat liant le vendeur à l’acquéreur est indifférente.

La responsabilité du maitre d’ouvrage vendeur peut alors être recherchée dans les 10 ans qui suivent l’achèvement des travaux[2]


Pendant ce délai, la responsabilité du maitre d’ouvrage vendeur peut donc être recherchée au titre des désordres présentant les critères de gravité prévus à l’article 1792 du Code civil, indépendamment de la responsabilité de droit commun qui peut être retenue pour les vices qui ne relèvent pas de la garantie décennale.

Le régime de responsabilité prévu aux articles 1792 et 1792-1, 2° est un fondement spécifique et d’ordre public.

Autrement dit, dès lors que les critères de mise en œuvre de la responsabilité décennale sont réunis, celle-ci aura prioritairement, et exclusivement, vocation à s’appliquer.

Et parce qu’il s’agit d’un régime de responsabilité d’ordre public, il n’est possible ni d’y déroger, ni de l’accommoder. Toutes clauses visant à supprimer, limiter ou suspendre cette garantie légale sont réputées non écrites[3]


Le vendeur maitre d’ouvrage sera particulièrement exposé s’il a réalisé lui-même les travaux, ou si l’entreprise mandatée a fait l’objet d’une procédure collective ou d’une dissolution, et qu’aucune police de responsabilité décennale n’a été souscrite par cette dernière.

Pour se prémunir de cette responsabilité qui pèsera sur lui pendant un délai d’épreuve de 10 ans depuis l’achèvement des travaux, le maitre d’ouvrage vendeur aura donc intérêt à veiller à souscrire à une garantie dommages-ouvrage, et à vérifier auprès des entreprises mandatées (le cas échéant), qu’elles sont bien assurées au titre du risque décennal.

De son côté, l’acquéreur qui achèterait un bien immobilier en connaissance de cause de la réalisation de travaux d’ampleur aura également intérêt à s’assurer de l’effectivité de la souscription de ces garanties assurantielles qui lui permettront de se prémunir de tout risque d’insolvabilité du vendeur et/ou des entreprises.



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[1] En ce sens : Civ. 3ème., 2 octobre 2002, N° 00-11117 : NPB
[2] En ce sens : Civ. 3ème 19 septembre 2019, N° 18-19918 : NPB
[3] Art. 1792-5 du Code civil




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