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01 avril 2022

COMMENTAIRE DE L'ARRET DU 8 DECEMBRE 2021, N° 20-18.540


Arrêt de la Troisième chambre civile de la Cour de cassation du 8 décembre 2021 n°20-18.540


Préambule


L’arrêt du 8 décembre 2021 constitue le parfait exemple des doutes qui peuvent subsister en matière de défaut de respect des délais prévus à l’article L242-1 du Code des assurances par l’assureur dommages-ouvrage.

Cet arrêt est également l’occasion de rappeler d’autres grands principes, que ce soit sur un plan strictement procédural, à savoir l’application de l’article 5 du Code de procédure civile, ou encore concernant le recours en garantie, et enfin sur la portée de la responsabilité de plein droit du constructeur.


En l’espèce


Il s’infère de l’exposé des faits et de la procédure de l’arrêt commenté, qu’une société civile immobilière (SCI) est propriétaire d’un local commercial au sein d’un immeuble soumis au statut de la copropriété.

A la suite d’un incendie, le Syndicat des copropriétaires a confié la maîtrise d’œuvre des travaux de reconstruction à différents acteurs, tandis que les lots menuiseries, garde-corps, cloisons, plafonds et isolation ont été confiés à une entreprise.

Pour les besoins des travaux, le syndicat des copropriétaires  a souscrit une police d’assurance dommages-ouvrage.

Après réception des travaux, la SCI s’est plainte d’une non-conformité des locaux à leur configuration précédant l’incendie, et d’un défaut de stabilité d’une poutre réutilisée à l’occasion des travaux de reconstruction.

Le syndicat des copropriétaires a déclaré le sinistre à l’assureur dommages-ouvrage, qui a refusé sa garantie.

Une expertise judiciaire a été ordonnée, et à la suite du dépôt du rapport, la SCI a fait assigner les sociétés de maîtrise d’œuvre, l’entreprise en charge des lots menuiseries, garde-corps, cloisons, plafonds et isolation, et le syndicat des copropriétaires, lequel a appelé en garantie l’assureur dommages-ouvrage.

La Cour d’appel de Rennes a rendu un arrêt le 4 juin 2020, à l’encontre duquel l’assureur DO, l’une des sociétés de maitrise d’œuvre, et l’entreprise, ont formé un pourvoi.



Problématiques soulevées et portée de l’arrêt


1. La sanction du non-respect du délai de 60 jours par l’assureur dommages-ouvrage, conditionnée à l’existence d’une déclaration de sinistre


L’article L242-1 du Code des assurances pose une obligation d’assurance dommage-ouvrages :

« Toute personne physique ou morale qui, agissant en qualité de propriétaire de l’ouvrage, de vendeur ou de mandataire du propriétaire de l’ouvrage, fait réaliser des travaux de construction, doit souscrire avant l’ouverture du chantier, pour son compte ou pour celui des propriétaires successifs, une assurance garantissant, en dehors de toute recherche des responsabilités, le paiement de la totalité des travaux de réparation des dommages de la nature de ceux dont sont responsables les constructeurs au sens de l’article 1792-1, les fabricants et importateurs ou le contrôleur technique sur le fondement de l’article 1792 du Code civil ».

L’assurance dommages-ouvrage est ainsi une assurance de chose, qui garantit un ouvrage des désordres affectant sa solidité ou le rendant impropre à sa destination, y compris du fait d’un vice du sol, et qui reste attachée à cet ouvrage, et se transmet, avec lui, aux propriétaires successifs.

L’assurance dommages-ouvrage prend effet à l’expiration de la garantie de parfait achèvement, soit un an après la réception de l’ouvrage, à deux exceptions près :


  • Avant la réception, la garantie peut être mobilisée après l’envoi d’une mise en demeure demeurée infructueuse, lorsque le contrat de construction conclu avec l’entreprise est résilié pour inexécution.

  • Après la réception, et après envoi d’une mise en demeure, lorsque l’entreprise n’a pas exécuté ses obligations.

Pendant 10 ans, elle permet de garantir les dommages de nature décennale en dehors de toute recherche de responsabilité, par le paiement de la totalité des travaux de réparation.

L’article L242-1 du Code des assurances et l’article A243-1 du même Code encadrent le champ d’application et le régime de l’assurance dommages-ouvrage.

Classiquement, les délais suivants trouveront ainsi à s’appliquer à compter de la réception de la déclaration de sinistre:


  • L’assureur DO aura 10 jours pour indiquer à l’assuré que sa déclaration n’est pas constituée, notamment lorsqu’une ou plusieurs informations prévues à l’article A 243-1 annexe II du Code des assurances est manquante ;

  • L’assureur dispose de 15 jours pour opposer un refus de garantie si le dommage n’est pas de nature décennale, ou pour accepter la réparation des dommages sans expertise si le montant de ceux-ci est inférieur à 1.800 euros ;

  • L’assureur dispose de 60 jours pour accepter l’ouverture du dossier, désigner un expert amiable, notifier le rapport préliminaire de son expert, puis transmettre sa décision de principe sur la mobilisation ou non de sa garantie ;

A défaut du respect du délai de 60 jours, l’assureur est déchu du droit de contester sa garantie (En ce sens : Civ. 3ème., 20 juin 2017, N° 06-13.565 : NPB), même en cas de prescription encourue (En ce sens : Civ. 3ème., 30 sept. 2021, N° 20-18.883 : PB).

L’assureur perd notamment le droit d’invoquer la nullité du contrat (En ce sens : Civ 3ème 28 janv. 2009 n°07-21.818 : PB), ou encore la possibilité d’opposer son plafond de garantie à l’assuré (En ce sens : Civ 3ème  9 oct. 2013 n°12-21.809 : PB), et se trouve en toute hypothèse tenu de mobiliser sa garantie pour le paiement des sommes correspondant aux travaux de reprise (Civ 1ère  avril 1994 n°92-13.530 : PB).


  • Dans l’hypothèse où la garantie est due, l’assureur devra présenter, sur la base d’un rapport définitif, une offre dans les 90 jours suivants la réception de la déclaration de sinistre réputée constituée.

En cas de non-respect de ce délai, l’assuré peut, après l’avoir notifié à l’assureur, engager les dépenses nécessaires à la réparation des dommages de nature décennale et en demander le remboursement à l’assureur dommages-ouvrage, ou saisir le juge afin d’obtenir sa condamnation à payer le montant provisionnel des travaux réparatoires, sans qu’il ne puisse être appliqué un quelconque coefficient de vétusté. En outre, l’assuré pourra bénéficier d’une majoration de plein droit de son indemnité au double du taux de l’intérêt.

En l’espèce, aux termes de son arrêt rendu le 8 décembre 2021, la Cour de Cassation rappelle, au visa de l’article L. 242-1, alinéas 3 et 5, du Code des assurances, dans sa version issue de la loi n°  2008- 735 du 28 juillet 2008,  « que l’assureur qui ne notifie pas à l’assuré, dans un délai maximal de soixante jours, courant à compter de la réception de la déclaration du sinistre, sa décision quant au principe de la mise en jeu des garanties prévues au contrat, ne peut plus contester le principe de sa garantie et doit indemniser l’assuré des dépenses nécessaires à la réparation des dommages résultant du sinistre déclaré ».

En l’espèce, la Cour d’appel a condamné l’assureur DO à payer au syndicat des copropriétaires une somme de 50.080 euros au motif, d’une part, que l’assureur n’a pas respecté le délai de 60 jours pour notifier sa décision quant au principe de la mise en jeu de ses garanties, et qu’il doit en conséquence indemniser les les désordres dénoncés par le syndicat des copropriétaires ; d’autre part, que ce dernier a fait réaliser des travaux consistant, après suppression du mur de refend, en des confortations des structures existantes, renforcements de la poutre métallique et de ses appuis, et traitement des recoupements au feu.

A l’appui de son pourvoi, l’assureur DO a soutenu que la déclaration de sinistre qui lui avait été notifiée portait exclusivement sur le défaut de stabilité au feu de la poutre métallique et sur le défaut de reprise des structures existantes sur les structures neuves, et non sur les désordres relatifs aux réseaux, au trou d’homme et au mur de refend ; or la somme de 50.080 euros allouée au titre des travaux de reprise des dommages inclut la suppression du mur de refend, qui n’était pas l’objet de la déclaration de sinistre.

La Cour de Cassation censure l’arrêt pour défaut de base légale, pour ne pas avoir recherché, comme il le lui avait été demandé, si la suppression du mur de refend était nécessaire à la réparation du sinistre déclaré, dont elle avait relevé qu’il consistait en un «défaut de stabilité au feu de la poutre métallique située au RDC dans les locaux de la SCI » et un «défaut de reprises des structures existantes sur les structures neuves situées dans les locaux de la SCI ».

Deux enseignements :

La Cour de Cassation rappelle ici la condition sine qua non à l’application des alinéas 3 et 5 de l’article L 242-1 du Code des assurances, celle que le dommage ait été effectivement et correctement déclaré à l’assureur DO.

Dans le cas contraire, il ne saurait être reproché à l’assureur de ne pas avoir pris position.

D'où l’importance de veiller à rédiger avec soin la déclaration de sinistre qui permettra de solliciter la mobilisation de la garantie.

Qui plus est, l’assureur ne pourrait être tenu de garantir les conséquences dommageables d’un sinistre que dans la mesure où les travaux de reprise sont nécessaires à la réparation du dommage déclaré.



2. Le juge doit se prononcer sur tout ce qui lui est demandé et seulement ce qui lui a été demandé

 

L’assureur DO a fait grief à l’arrêt de la Cour d’appel de l’avoir condamnée, in solidum avec les maîtres d’œuvre, à payer au syndicat des copropriétaires une somme de 11.600 euros au titre des travaux de sécurité incendie, alors qu’au stade de ses dernières conclusions récapitulatives, ce dernier ne formulait aucune demande en ce sens.

Au visa de l’article 5 du Code de procédure civile la Cour de Cassation censure la Cour d’appel s’être prononcée sur une demande dont elle n’était pas saisie.

Il n’aurait pu en être autrement : l’objet d’un litige étant déterminé par les prétentions des parties en application de l’article 4 du Code de procédure civile, la Cour ne pouvait statuer ultra petita.

Il s’agit, purement et simplement, de l’application d’un principe directeur du procès, tel que défini au chapitre Ier du Code de procédure civile. On pourrait dire : « la base, donc ».



3. Différence entre recours en garantie et recours subrogatoire


L’assureur DO fait grief à l’arrêt d’appel de l’avoir déclaré irrecevable en sa demande en garantie à l’encontre les maîtres d’œuvre au motif qu’étant subrogé dans les droits de son assuré, il ne pouvait exercer son action contre les constructeurs responsables qu’à la condition de s’être préalablement acquitté de l’indemnité due à celui-ci.

Au visa de l’article 334 du Code de procédure civile, la Cour de Cassation rappelle qu’ « il résulte de ce texte qu’une partie assignée en justice est en droit d’appeler une autre en garantie des condamnations qui pourraient être prononcées contre elle, une telle action ne supposant pas que l’appelant en garantie ait déjà indemnisé le demandeur initial ».

Elle juge que la Cour d’appel a violé cette disposition, dès lors qu’en l’espèce, la compagnie d’assurance dommages-ouvrage n’exerçait pas un recours subrogatoire mais formait une demande de garantie.

A la différence du recours subrogatoire (articles 1346 et suivants du Code civil), le recours en garantie exercé par une partie à l’instance à l’encontre d’un codéfendeur appelé à la procédure n’impose pas  l’indemnisation préalable du bénéficiaire de la condamnation.



4. La portée de la responsabilité de plein droit du constructeur


L’article 1792 du Code civil pose une présomption de responsabilité du constructeur :

« Tout constructeur d'un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage, des dommages, même résultant d'un vice du sol, qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination.
Une telle responsabilité n'a point lieu si le constructeur prouve que les dommages proviennent d'une cause étrangère ».

Il s’agit, comme en dispose le texte, d’une responsabilité de plein droit.

Le constructeur ne peut s’exonérer de sa responsabilité par la démonstration d’une absence de faute, laquelle est indifférente.

Seule la cause étrangère – force majeure, fait du tiers ou faute de la victime - est susceptible de permettre au constructeur de s’exonérer de sa responsabilité, en tout ou partie.

C’est précisément ce que rappelle la Cour de Cassation au visa de l’article 1792 précité :

« Selon ce texte, tout constructeur d’un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l’acquéreur de l’ouvrage, des dommages, même résultant d’un vice du sol, qui compromettent la solidité de l’ouvrage ou qui, l’affectant dans l’un de ses éléments constitutifs ou l’un de ses éléments d’équipement, le rendent impropre à sa destination. Une telle responsabilité n’a point lieu si le constructeur prouve que les dommages proviennent d’une cause étrangère ».

En l’occurrence, la Cour d’appel avait considéré, pour écarter la responsabilité de l’entreprise et le droit à indemnisation de la SCI, que les dommages affectant les ouvrages sur lesquels est intervenu le constructeur sont de la gravité de ceux visés à l’article 1792 du code civil, mais que les préjudices subis par la SCI n’ont pas pour cause les malfaçons affectant les travaux de cette entreprise.

Tout naturellement, la Cour de Cassation a censuré l’arrêt de la Cour pour violation de l’article 1792, en ce que sa motivation ne permettait pas de retenir  l’existence d’une cause étrangère exonérant le constructeur de la responsabilité qui pèse sur lui de plein droit.



***


Pour conclure, on s’étonnera de la solution rendue par l’arrêt de la Cour d’appel, que la Cour de Cassation n’a pas manqué de censurer, sous différents aspects qui sont pourtant fondamentaux.

On ne peut donc que saluer le présent arrêt, qui a l’opportunité de rappeler les grands principes applicables tant en matière de responsabilité du constructeur, que d’assurance construction ou de procédure civile. 

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